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Tribune

Le 13-05-19

 

Maladie de Lyme : « Halte à la désinformation organisée »

La polémique scientifique s’amplifie autour des maladies à tiques. Deux médecins répondent à un éditorial de Santé publique France.

Par le Professeur Christian Perronne et le Docteur Alexis Lacout

 

Dans un éditorial publié dans le Bulletin épidémiologique hebdomadaire du 3 mai 2019, « Un nécessaire questionnement éthique », le professeur Jean-Claude Desenclos, directeur scientifique, adjoint au directeur général de Santé publique France, a pris parti, sans support scientifique, contre l'existence d'une forme chronique de la maladie de Lyme. Cette maladie en pleine expansion est due à une bactérie, appelée Borrelia, qui est transmise par piqûre de tique. Or, cette forme chronique de la maladie est responsable de la souffrance d'un grand nombre de malades qui sont en grande majorité rejetés par le système de santé, voire carrément envoyés en psychiatrie. 

Des voix de médecins et de chercheurs se sont élevées pour regretter un texte partisan et apporter l'éclairage de nombreuses publications scientifiques démentant le contenu de cet éditorial (voir le communiqué de la Fédération française contre les maladies vectorielles à tiques).

Les tests sérologiques ne sont pas fiables

Le professeur Desenclos soutient la thèse que les tests diagnostiques de la maladie de Lyme, basés sur la sérologie (recherche d'anticorps dans le sang), sont fiables, alors que de nombreuses études scientifiques montrent totalement le contraire. Beaucoup de résultats sont surtout faussement négatifs, laissant les malades sans diagnostic ou avec des diagnostics erronés. Il est incompréhensible pour nous, médecins, d'observer qu'il existe encore un débat à ce sujet. C'est une aberration scientifique. Elle a pour conséquence des millions de malades dans le monde, non diagnostiqués, en totale errance médicale. Une analyse exhaustive de toutes les données publiées sur le sujet, réalisée par deux chercheurs britanniques, Cook et Puri, publiée fin 2016 (Cook et Puri Int J Gen Med 2016) a pourtant démontré que la capacité de détection de la sérologie est inférieure à 60 %. Un autre article publié dans le Journal of Clinical Microbiology (Lacout et al, Value of Patient Population Selection and Lyme Borreliosis Tests) montre, comme l'avait déjà souligné un rapport du Centre européen de contrôle et de prévention des maladies (ECDC), publié en avril 2016, qu'il n'est pas possible de calibrer correctement les sérologies pour la maladie de Lyme. En effet, pour calibrer convenablement les tests, il faut être capable de déterminer une population malade et une population non malade. Or, tout le problème avec cette maladie est de déterminer la population malade.

Toutes ces limites ont été prises en compte en juin 2018 par la Haute Autorité de santé (HAS). Le rapport du groupe de travail officiel du ministère de la Santé américain (US Department of Health and Human Services) adressé au Congrès des États-Unis le 14 novembre 2018 confirme pleinement que les tests diagnostiques actuels ne sont pas fiables, que les infections associées à la maladie de Lyme – co-infections dues à d'autres pathogènes transmis lors des piqûres de tiques – ne sont pas recherchées. Le rapport américain confirme par ailleurs que les traitements n'ont pas été correctement évalués. Il n'y a que dans le microcosme des irréductibles Gaulois de la Société de pathologie infectieuse de langue française (SPILF) que l'on observe une telle résistance à ces vérités scientifiques. Même le Pr Benoît Jaulhac, directeur du Centre National de Référence (CNR) des borrélioses de Strasbourg, qui défend la fiabilité des tests depuis longtemps, finit par reconnaître dans un article publié qu'aucun test diagnostique biologique n'est parfait (Values of diagnostic tests for the various species of spirochetes.

Il est choquant d'observer la collusion d'une agence d'État, Santé publique France, avec une société savante, la SPILF, pour colporter des théories inappropriées, notamment auprès d'autres sociétés savantes, non spécialistes du domaine. Le CNR des borrélioses de Strasbourg est sélectionné, évalué et financé en partie par Santé publique France. Cette agence est ainsi l'organisme de tutelle du CNR qui est en situation de monopole pour évaluer les tests diagnostiques de la borréliose de Lyme basés aujourd'hui sur la sérologie. Un CNR tout puissant pour écarter le développement de tout nouveau test, quand on sait que l'Agence nationale de sécurité des médicaments et des produits de santé (ANSM) est obligée de tenir compte de l'avis du CNR pour homologuer ou non un nouveau test.

Un article scientifique entaché d'erreurs

Dans son éditorial, le Pr Desenclos cite l'article « Maladie de Lyme : 80 % de mauvais diagnostics » mené par le Pr Éric Caumes. Malheureusement, cet article n'est pas une étude scientifique digne de ce nom, mais un état des lieux des pratiques de rejet auxquels font irrémédiablement face des malades atteints de la maladie de Lyme chronique et ses co-infections tous les jours. Cette conduite choquante vis-à-vis de malades, souvent en grande souffrance, est commune à la plupart des services d'infectiologie. Cette publication, reprise par Santé publique France est entachée de nombreuses erreurs que nous avons soulevées dans une réponse validée et publiée dans le journal « Clinical Infectious Diseases », le même qui a publié l'article défaillant. (Lacout A, Perronne C. Holistic or Dedicated Approach in Lyme Disease ?

Il est incompréhensible qu'un exposé de partis pris sans aucun support scientifique solide ait pu être publié dans un journal international a priori respectable. Mais ce journal appartient à l'Infectious Diseases Society of America, société savante américaine qui a toujours, sans apporter la moindre preuve scientifique, nié l'existence de la forme chronique de la maladie de Lyme… Le fait que son organe de presse ait validé cette publication non scientifique ne fait que souligner la collusion dans la désinformation.

Cependant, devant la clarté de notre réponse, dénonçant la grande faiblesse de la publication du Pr Caumes, ledit journal n'avait d'autre choix que de publier notre réponse. Dans cet article, nous sommes non seulement choqués de voir les auteurs affirmer que l'on n'a pas la maladie de Lyme si la sérologie est négative, mais qu'en prime, il faut se souvenir impérativement de la piqûre de tique pour développer la maladie. C'est ubuesque ! Il est bien établi dans les publications médicales que la majorité des patients ne se souviennent pas avoir été piqués par une tique. La piqûre est indolore, souvent située dans des endroits peu visibles (plis du corps, dos, cuir chevelu, conduit auditif, etc.). Les « bébés tiques » (larves ou nymphes) ne mesurent que deux ou trois millimètres, la taille d'une tête d'épingle ! Les auteurs enfoncent le clou en précisant que si les patients ne sont pas guéris après trois semaines d'antibiotique, c'est qu'ils n'avaient pas la maladie ! Cela témoigne d'une profonde méconnaissance de la forme chronique de cette pathologie pour laquelle le traitement antibiotique actif entraîne très souvent une augmentation des signes et symptômes de la maladie au début du traitement. Cette exacerbation connue sous le nom de réaction de Jarish-Herxheimer (« herx » pour les intimes) peut durer plusieurs semaines, voire plusieurs mois (Pound et al, Proposed mechanisms and preventative options of Jarisch-Herxheimer reactions J Clin Pharm Ther. 2005). Après 3 ou 4 semaines, durée « classique » du traitement, il n'est souvent pas possible d'observer une amélioration. Au contraire bien souvent, avec ces herx, le patient semble se dégrader, bien qu'il soit sur le chemin de l'amélioration ou de la guérison !

Il n'y a pas que la maladie de Lyme !

Nous ne comprenons également pas pourquoi le Pr Desenclos ne parle que de la sérologie de Lyme. La maladie de Lyme n'est que la partie émergée de l'iceberg ! Il y a en effet de nombreuses autres infections transmises par les tiques (co-infections) : d'autres bactéries, des parasites et des virus qui peuvent aussi induire des pathologies graves ! Pourquoi ne pas rechercher ces co-infections au lieu de considérer que les patients présentant une sérologie Lyme négative ont une pathologie psychosomatique et que leur souffrance est « dans la tête » ? En catimini, ces mêmes médecins qui tiennent ce discours publient sur ces co-infections et reconnaissent leur importance (faites ce que je dis, pas ce que je fais !) : citons par exemple l'article sur le parasite Babesia : « Babésiose en France et en Europe : une pathologie à redéfinir » auquel a participé le Pr Jaulhac du CNR de Strasbourg.

Les patients atteints par des formes chroniques de maladie de Lyme et co-infections ont depuis longtemps déserté les services d'infectiologie et sont désormais quasi exclusivement soignés par des médecins de ville. Il est très choquant que le Pr Desenclos accuse ces médecins héroïques d'être à l'origine de l'errance thérapeutique des malades. Ne voyant pas les patients ou refusant de les suivre au-delà de quelques jours à quelques semaines, le niveau d'expertise des services d'infectiologie sur la maladie de Lyme est conséquemment très faible……………..

 

https://www.lepoint.fr/sante/maladie-de-lyme-halte-a-la-desinformation-organisee-13-05-2019

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